Les médias se sont fait l’écho de l’enquête ouverte fin juin par la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) et la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes)[2] sur l’IP Tracking.
L’IP Tracking consisterait à repérer les ordinateurs des internautes qui recherchent des billets sur les sites de compagnies aériennes ou ferroviaires ; s’ils n’achètent pas tout de suite, mais reviennent un peu plus tard sur ces sites consulter les mêmes voyages, les prix sont augmentés pour inciter ces internautes à payer tout de suite.
Si elle était avérée, cette pratique commerciale pourrait être considérée comme déloyale[3] par la DGCCRF. De son côté, la CNIL se pose «la question de la loyauté de la collecte des données permettant de mettre en œuvre l'IP Tracking. Cette pratique serait opérée à l'insu des personnes et sans qu'elles soient en mesure de connaître, voire d'agir sur les mécanismes conduisant à moduler le tarif affiché.[4]»
Malheureusement le manque de loyauté de la collecte de données risque, je le crains, d’être difficile à prouver. En effet, l’IP Tracking s’effectue au moyen de cookies, des petits logiciels espions que les sites Web installent sur les navigateurs des internautes. Or, normalement, en Europe, tous les sites doivent informer leurs visiteurs qu’ils utilisent des cookies et leur demander leur accord avant de les installer sur leurs ordinateurs[5].
Une petite application – Ghostery[6] – permet de voir tous les cookies qui s’installent sur votre ordinateur lorsque vous arrivez sur un site.
Saisie d'écran du site de France Inter. Ghostery affiche en haut à droite les 14 cookies que ce site a enregistrées sur mon ordinateur
Ces cookies constituent des identifiants uniques qui permettent de savoir que tel ordinateur s’est rendu sur telle page de tel site Web. Ils contiennent souvent l’adresse IP de l’ordinateur (un numéro unique attribué en général par votre FAI - Fournisseur d’Accès à Internet), l’url des sites visités, une date d’expiration…
Ces cookies sont utilisés pour suivre à la trace les déplacements des Internautes à l’intérieur d’un même site ou au cours de leurs pérégrinations sur le Web, de serveurs en serveurs. C’est grâce à ces cookies que l’on peut connaître le nombre de visiteurs d’un site ou que nous n’avons pas besoin de retaper notre mot de passe lorsque nous revenons sur un site sur lequel nous nous sommes déjà identifiés.
Surtout, c’est grâce à ces petits logiciels espions que Google et les autres géants de la publicité en ligne nous affichent, sur leurs propres sites, mais aussi les sites dont ils assurent la régie publicitaire, des publicités dites « comportementales », car ciblées en fonction de notre comportement, de notre navigation sur Internet. Pour schématiser, ces régies publicitaires savent que notre ordinateur s’est d’abord rendu sur un site consacré aux couches-culottes, puis sur un site spécialisé dans les voitures familiales, avant un site dédié au crédit, et en déduisent que nous sommes à la recherche d’un crédit automobile. Elles vont donc nous afficher une pub pour un crédit automobile. Cette bannière correspondant à nos centres d’intérêts, nous allons cliquer dessus, ce qui va rapporter plus d’argent à Google et consorts.
Si vous souhaitez en savoir plus, je mets à votre disposition une petite vidéo expliquant le fonctionnement de la publicité comportementale[7].
Si vous souhaitez connaître dans quelles catégories publicitaires Google vous a classé, rendez vous sur http://www.google.com/intl/fr/policies/technologies/ads/ ; vers le milieu de cette page, vous trouverez un paragraphe intitulé
«Comment contrôler les cookies publicitaires» et qui commence par
«Les paramètres des annonces permettent de gérer les annonces Google que vous voyez». Cliquez sur paramètres des annonces
Il existe plusieurs formes de publicités comportementales. L’une d’elles s’appelle le retargeting (reciblage). Elle consiste à utiliser les cookies pour suivre les internautes qui visitent un site marchand, mettent un produit dans leur panier, mais ne l’achètent pas. Pendant plusieurs jours, ils se verront proposer une publicité pour ce même produit. L’IP Tracking pourrait être considéré comme une variante du retargeting : on suit les internautes qui n’achètent pas et lorsqu’ils reviennent, on augmente le prix du produit qui les intéresse.
Inconvénient des cookies : on ne sait pas exactement qui est derrière l’ordinateur. On sait juste que c’est tel ordinateur qui visite tel site. C’est pourquoi Google, par exemple, nous pousse de plus en plus à nous identifier en utilisant un de ses services. En ce sens, le réseau social Google + avec 500 millions d’inscrits[8] est un succès pour le célèbre moteur de recherche. Une fois que je me suis inscrit sur un service Google (courrier électronique Gmail, site de partage de photo Picasa, réseau social Google +, YouTube…), les cookies de Google peuvent me suivre partout et accumuler autant d’informations sur moi.
Google se rapproche ainsi de Facebook, qui nous cible en fonction de notre graphe social (notre réseau d’amis sur Facebook), de nos publications, des sites que nous visitons et qui comportent un bouton «J’aime» de Facebook… Facebook accumule ainsi des données très indiscrètes sur nous (voir à ce sujet la polémique que j’ai soulevée sur le ciblage que Facebook propose en fonction de nos centres d’intérêts supposés pour certaines pratiques sexuelles ou des drogues illicites[9]).Pour savoir dans quelles catégories publicitaires Facebook vous a classé, suivez ce lien : http://tousfiches.blogspot.fr/2013/01/comment-savoir-dans-quelles-categories.html
Il existe d’autres techniques pour suivre à la trace les déplacements des Internautes sur le Web (par exemple, les pixels espions). Mais, à ce jour, la forme de publicité comportementale la plus aboutie fonctionne sur les smartphones : nous les avons en permanence sur nous et ils révèlent donc notre position.
Encadré : Yield Management
Petit rappel : les compagnies aériennes et ferroviaires pratiquent toutes le yield management (gestion fine des capacités) : pour optimiser le remplissage de leurs avions et de leurs trains, elles font fluctuer leur prix en fonction de la demande. Un voyageur, qui réserve un billet d’avion six mois à l’avance, paiera moins cher que quelqu’un qui réserve la veille du départ. La compagnie aérienne suppose que ce dernier veut absolument partir ce jour-là et qu’il est donc prêt à payer plus cher.
Aux Etats-Unis, le moteur de recherche Bing propose un outil qui permet de savoir s’il vaut mieux acheter son billet tout de suite, car il a forte probabilité d’augmenter dans les prochains jours, ou s’il vaut mieux attendre qu’il baisse.
[3] L'article L.120-1 du code de la consommation, considère comme déloyales une pratique commerciale «lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.»